Colonel François Huet – alias Hervieux - chef militaire du maquis du Vercors

Raconté par Martine Perrin, Nicole Signorini et Josette Rey. 

Avant la venue de François Huet dans le Vercors, des troupes de Résistance étaient formées. En hiver 1941, Pierre Dalloz et Jean Prévost sont réunis dans la propriété des Dalloz à la Côte de Sassenage. Dalloz observait la montagne et songeait que le plateau du Vercors pourrait devenir une véritable forteresse. Avec la loi du travail obligatoire (STO), puis l’invasion de la zone le 11 novembre 1942, un nombre croissant de jeunes réfractaires commençaient à arriver au Vercors. Il fallait les accueillir pour les former aux futurs combats.  

En janvier 1943 Pierre Dalloz rencontre les chefs de la Résistance délégués auprès de De Gaulle, et expose le projet pour le Vercors qui s’appellera PLAN MONTAGNARDS. Dalloz, Farges et le Général Delestrain (pour pseudonyme Vidal) recrutent une équipe de militaires. Ils se rendent sur le plateau pour reconnaître les futurs terrains d’atterrissage et de parachutage pour Londres et Alger. Les réfractaires venant de plus en plus nombreux, il fallait créer des camps de combat. En avril 1943 plusieurs groupes des camps de combat sont arrêtés par la police italienne : Farges et Dalloz quittent la région. Ils sont remplacés sur décision de Vidal par Jean Prévost (Alias Goderville), Alain Le Ray et Chavant (Alias Clément) patron civil. Ils organisent le maquis, un instant rompu par l’arrestation de Jean Moulin (Max) et de Vidal.  

A partir d’août 1943, grâce à Alain Le Ray, Jean Prévost et beaucoup d’autres militaires, les camps de combats s’organisent de mieux en mieux. Début 1944, les incursions allemandes se multiplient sur le plateau avec beaucoup d’efficacité. En janvier, elles ont réduit le maquis de Malleval. Le 23 mai 43, Chavant (Clément) et son adjoint Jean Veyrat (Raymond) arrivent à Alger. Ils en reviennent avec une grosse somme d’argent et des instructions pour le PLAN MONTAGNARDS. Pressentant toute l’importance que le maquis allait prendre dans la lutte qui s’annonçait, le chef d’état-major cherchait un militaire expérimenté, apte à prendre le commandement de la force hétéroclite désormais rassemblée sur le plateau. Marcel Descours avait croisé Huet à diverses reprises. Il était formel : Huet devait aller au Vercors.  

Le 6 mai 1944, François Huet prend le commandement du Vercors, avec le pseudonyme HERVIEUX, un vieux nom du Dauphiné. Il arpente le plateau et rencontre des résistants et des militaires. Tous sont d’accord pour dire qu’il est un meneur d’hommes. Son langage direct aux ordres précis inspire la confiance. Mais il sait que sa rencontre avec Thivollet, qu’il va priver de son commandement, ne sera pas facile. Il lui dit qu’il est chargé de coordonner l’action des maquisards et que sa mission est de diriger tout l’ensemble. Il nomme Thivollet chef de la zone sud et pour Durieux la zone nord. Ils attendent de Londres, deux messages : un pour la zone nord « les sanglots longs des violons... » ; l’autre pour la zone sud « le chamois des alpes bondit ».  

Le grand jour est donc venu, la Résistance clandestine s’achève et les maquisards deviennent des combattants. Chavant (Clément) dit que l’autorité militaire, c’est le Colonel Hervieux : un homme admirable qui a du sang froid et sait encourager ses troupes. D’autres volontaires montent sur le plateau venant de toute la région (Romans, Grenoble, St Nizier...) : près de 3000 volontaires se retrouvent dans le Vercors. Hervieux annonce que tous font partie des FFI (Forces françaises de l’intérieur) sous son seul commandement. Il s’agit de tenir jusqu’à ce que les renforts arrivent. Une activité fiévreuse règne, minage des voies d’accès, réception des parachutages, distribution des armes...  

Hervieux ne peut différer plus longtemps l’ordre de mobilisation : le plateau doit être bouclé. La mobilisation est décrétée le 8 juin à minuit. Les uns après les autres, les chefs d’unité du plateau reçoivent l’ordre de verrouillage de leur secteur. Ainsi, au soir du 9 juin, 900 hommes armés et encadrés viendront s’ajouter aux 2000 volontaires non armés, non encadrés, non entrainés et non prévus. Ce magnifique sursaut de patriotisme est terriblement dangereux, et je me demande ce que l’avenir va nous réserver. La stupeur fut grande le lendemain, quand on a pris connaissance de l’ordre du Général Koenig « freiner au maximum l’activité guérilla, impossible actuellement de vous ravitailler en armes et munitions ». Un autre télégramme de Londres ordonne de renvoyer chez eux les hommes qui sont montés au Vercors. Hervieux décide de faire la sourde oreille : « les hommes qui nous ont rejoint depuis deux jours, si on les renvoie chez eux, c’est les envoyer au massacre ». 

Le 11 juin à 9h, deux jours après l’ordre de mobilisation, Durieux téléphone au PC : « ils montent ». Effectivement au col de la Tour sans Venin, les troupes allemandes se déploient pour gravir la pente raide qui monte à St Nizier. La Résistance tient bon, elle qui ne dispose que de fusils et grenades ! Les Allemands se retirent à la nuit. Hervieux ne doute pas qu’ils reviendront plus armés et plus déterminés.  

Du 10 au 12 juin, plusieurs télégrammes sont envoyés à Alger pour réclamer des parachutages d’armes et d’hommes « Urgence extrême envoyer hommes armes tabac d’ici 48 h maximum – mobilisation a été ordonnée sur assurance formelle de recevoir armement ». Le lendemain nouveau message « Non-exécution promesse va créer situation dramatique ». Alger ne semble pas prendre l’urgence de la situation. Hervieux fait savoir « qu’il n’est pas question de foutre le camp après avoir compromis toute la population sans opposer quelques résistances que ce soit ».  

St Nizier est le point le plus faible, ainsi, deux compagnies sont déployées : celle de Jean Brisac (160 hommes) et celle de Jean Prévost (capitaine Goderville). La plupart de ces jeunes gens sont pleins d’enthousiaste mais sans expérience du combat. 

A l’aube du 13 juin, une colonne d’au moins 300 Allemands marchent vers St Nizier. Les maquisards résistent. Prévenu, Hervieux arrive sur les lieux à moto. Il est accueilli par Goderville qui s’exclame « Si seulement on avait des mortiers ! ». Il demande à la section CHABAL de se rendre immédiatement à St Nizier : ils arrivent avec des grenades et un canon de 25mm. L’affrontement va durer toute la journée. 

A la nuit, les Allemands amorcent un repli vers Grenoble. Hervieux lance à Goderville « Bravo, vous leur avez montré de quel bois vous vous chauffez ». Mais il ne se fait pas d’illusion, l’ennemi ne fait que tester la Résistance. 

Au soir du 13 juin, il réitère ses demandes à Alger « Sommes attaqués dans le Vercors nous ne pouvons abandonner sans défense une population entièrement compromise- situation dramatique, bataillon parachutiste nous aiderait à sauver la situation ». Dans la nuit, huit avions alliés larguent sur Méaudre des containers de mitraillettes acheminés immédiatement avant l’aube à St Nizier. Certaines sont trop lourdes pour les utiliser par des troupes de montagne. Regain de confiance ils ne sont pas abandonnés. 

Le 15 juin à 5h du matin, les Allemands reviennent à la charge en force et en nombre appuyés par des miliciens qui s’infiltrent dans les rangs des maquisards. La bataille fait rage mais c’est une lutte inégale. Ils sont 400 à peine sur un front de 4 kms, contre 1500 soldats allemands bien armés et parfaitement entrainés. Les mitraillettes françaises sont impuissantes devant les canons et la puissante artillerie allemande. Hervieux prend la seule décision qui s’impose et ordonne le repli général. Le lieutenant Pierre de Villemarest témoigne « Huet est resté parmi nous jusqu’au dernier moment, présent sur le front, il le sera pendant des semaines présent sur tous les autres ». Il n’avait pas rejoint son état-major. 

Les Allemands rentrent dans St Nizier et se comportent en barbare. 

Les maquisards n’ont aucun doute, s’ils avaient reçu à temps armes et renforts demandés ils pouvaient repousser les Allemands. Le répit laissé par l’ennemi permet de mieux instruire les hommes, les équiper et en faire une armée cohérente. L’ampleur du maquis qui compte maintenant 3000 hommes, oblige à renforcer son état-major. L’arrivée de plusieurs officiers sur le plateau va lui permettre de doter l’armée du Vercors d’une efficacité et d’une cohésion qui lui avaient cruellement fait défaut depuis dix jours. 

Le 22 juin, l’ennemi est repoussé sur le plateau de Combevin tenu par le maquis de la Drome ainsi que dans le défilé des Ecouges. Ce même jour, Alger est averti « Impossibilité de tenir si sommes pas recourus immédiatement ». Alger promet un parachutage dans la nuit du 23 au 24 juin : « Savons importance Vercors mettons tout en œuvre pour vous aider dès que les conditions atmosphériques le permettront ».  Nouvelle demande à Alger le 24 juin pour bombarder le terrain d’aviation de Chabeuil où se trouvaient 60 avions ennemis. Quelques heures plus tôt, 32 forteresses volantes venues d’Angleterre avaient largué 800 containers sur le terrain de Vassieu. Le 29 juin, après une nouvelle demande pour bombarder le terrain d’aviation de Chabeuil, la réponse est « Chabeuil était bien promis dans le planning il sera bientôt « traité » ». Paroles de François Huet « Les allemands avec toutes ces attaques ont testé nos défenses, mais ils reviendront bien plus armés et bien plus nombreux, il faut profiter du répit qu’ils nous laissent pour instruire nos hommes, les équiper, les transformer en une armée cohérente ». Le 13 juillet, Vassieu et la Chapelle sont bombardés et plusieurs villageois sont massacrés par les Allemands et miliciens. Le 14 juillet, les 900 containers reçus par parachutage des Alliés sont bombardés par l’aviation allemande, rendant très difficile la récupération des biens.  

Rien n’arrive : ni bombardiers, ni armements, ni troupes... Le 20 juillet, Hervieux dicta son ordre général de mobilisation : 

« L’ennemi investi au nord et à l’ouest. Soldats du Vercors, c’est le moment de montrer ce que nous valons. C’est l’heure pour nous de la bataille ». A l’aube du 21, une vingtaine de planeurs sont largués autour de Vassieu et les bombardiers mitraillent et lâchent des bombes à tout ce qui bouge… Hervieux à Alger : « Sommes attaqués par parachutistes. Nous défendons. ADIEU. » Télégramme qui, curieusement, ne trouve aucun écho à Alger.  

De partout la bataille fait rage, et les maquisards résistent autant qu’ils peuvent mais la lutte est inégale et ils se replient. Les Allemands investissent tout le plateau et progressent dans toutes les directions. Malgré les nombreuses demandes à Alger et leurs promesses, la journée s’écoule sans que rien ne vienne les confirmer.  
Paroles d’un maquisard « Nous sommes dans un état d’esprit d’hommes traqués. C’est une curieuse impression, voisine de l’hallucination, que la sensation de la présence de cet ennemi invisible, qui s’insinue autour de nous, de tous les côtés à la fois, comme une hydre qui nous lacérerait de ses tentacules, lentement mais sûrement, et sans que nous ne puissions rien tenter ».  

Après une réunion houleuse entre les chefs civils et militaires, la décision est prise de se battre le plus longtemps possible et de se disperser dans le massif par petites unités (maquiser dans le maquis). Clément rédige à l’attention d’Alger un télégramme qui est un acte d’accusation, et aussi, un poignant signe de désespoir « Ceux qui sont à Londres et à Alger n’ont rien compris à la situation dans laquelle nous nous trouvons et sont considérés comme des CRIMINELS ET DES LACHES ».  

Le 22 juillet, nouvelle offensive des Allemands qui concentrent leurs attaques sur la forêt de Valchevrière. Cette ligne de défense protège l’accès au cœur du plateau.  Hervieux a mis deux compagnies : celle du lieutenant Chabal et de Goderville, mais qui ne comprennent que 400 hommes pour 15 km. Par tous les moyens Goderville essaie de retarder l’ennemi en dressant des barrages de troncs de sapins et en disposant des mines aux passages éventuels. La bataille continue et la situation est de plus en plus désespérée.  

Paroles de Chabal à ses 82 hommes : « Les nouvelles sont mauvaises, le Vercors est complètement encerclé ; la Chapelle et Vassieu ont été entièrement bombardés. Des SS ont été largués avec des planeurs sur le terrain d’aviation. Il y a de la CASSE. Nous allons devoir supporter un assaut terrible dès demain matin. Il faudra faire face sans mollir. » 

Le 23 juillet (3ème jour), malgré une défense acharnée et héroïque, Chabal et une grande partie de ses hommes sont tués. Les Allemands investissent Valchevrière, ils incendient l’église et les fermes. Aux alentours de 16 heures, c’est toute la ligne de défense principale du Vercors qui s’écroule. Jean Prévost (Goderville) rassemble comme il peut tous les hommes qui refluent, mais il sait qu’il ne subsiste désormais aucun espoir de maintenir un front continu. Il envoie un dernier message à Hervieux qui annonce alors la dispersion et évitera l’anéantissement du maquis. Pour Marcel Descours : « Huet a pris la seule décision intelligente qu’il puisse être prise à cette époque ». Hervieux continuera de commander les unités dispersées sur le plateau.  

Les Allemands crient victoire, mais ils savent bien que tant que ces chefs sont encore en liberté, le maquis n’a pas été réduit.  

Hervieux : « Ils nous ont submergés mais ils ne nous ont pas ni pris ni domptés ». Hervieux s’efforce de reprendre contact avec ses groupes et d’organiser la guérilla. Les représailles des Allemands furent terribles.  

Ce fut à la Chapelle en Vercors, Villard de Lans et Vassieu (qui resteront les symboles les plus forts de la résistance sur le plateau) que l’hystérie sanguinaire allemande atteindra son paroxysme : vieillards, femmes, enfants sont massacrés sans aucune pitié. Les bilans des pertes humaines du Vercors : 629 tués parmi les combattants, 201 parmi les civils. 

Le 15 août, les alliés débarquent en Provence, donnant ainsi au Vercors une justification éclatante mais tardive.